Dix ans après le séisme en Haïti: les souvenirs toujours aussi vifs

Ricardo Germain était toujours en Haïti lors du puissant séisme qui a tué plus de 200 000 personnes, il y a dix ans. Il est accompagné, sur la photo, de Clément Roy, de l’AQANU de Granby et région.

Le 12 janvier 2010, en 30 secondes, le visage d’Haïti a changé à jamais. La terre a tremblé et les répliques du puissant séisme ont modifié le cours de millions de vies. Plus de 200 000 personnes sont mortes et au-delà de 1,5 million d’Haïtiens et d’étrangers ont été blessés. Le Granbyen d’adoption Ricardo Germain a vécu le séisme. Il raconte son histoire.


À l’époque, l’Haïtien travaillait pour une organisation non gouvernementale américaine et catholique. Lorsque la terre a tremblé, il se trouvait à sa maison, située dans la commune de Delmas, à Port-au-Prince. Il discutait, au téléphone, d’un projet à venir. Il était 16 h 53.

« C’est à ce moment-là que j’ai senti les secousses. J’avais l’impression qu’un bulldozer passait dans la rue, raconte-t-il. Ça a vibré un petit peu. Quand j’ai entendu des cris dans le voisinage, c’est là que je suis sorti. Pas loin de chez moi, une école s’est effondrée, un hôtel aussi. On n’avait pas l’impression que c’était gros. »



Ce n’est que plus tard qu’il a réalisé l’ampleur de la catastrophe naturelle. Il a fini par joindre sa femme, qui demeurait à Jacmel pour pratiquer son métier d’infirmière. Sa journée était terminée. Heureusement, puisque son lieu de travail s’est effondré. En sachant que Jacmel était aussi touchée par le séisme et ses répliques, M. Germain a allumé la radio. C’est là qu’il a compris.

« On a su qu’il y avait beaucoup de morts, des maisons effondrées, dit-il. Il y avait de la poussière dans le ciel... »

S’ils n’ont pas perdu de membres de leur famille, sa femme et lui ont perdu plusieurs amis.

Hors du commun

En Haïti, les maisons étaient construites pour résister aux ouragans, indique M. Germain, puisque le pays se trouve sur la trajectoire de ces cyclones tropicaux. Mais pas pour un séisme d’une telle ampleur.



« On n’était pas habitués à ce genre de choses. On n’était pas préparés. Même à l’école, on a étudié ce qu’est un tremblement de terre, mais on n’avait pas fait de mise en situation, on ne savait pas comment se comporter, raconte-t-il. Ce n’était pas commun chez nous. Il y a déjà eu de petites secousses, mais on ne s’en souciait pas. C’est pour ça que tellement de gens sont restés à l’intérieur des maisons et qu’il y a eu beaucoup de morts. Si les gens avaient eu le réflexe de sortir en courant, le bilan n’aurait pas été le même. »

Il raconte que ce sont les répliques qui ont provoqué les plus gros dégâts, puisque la première avait fragilisé les bâtiments. Il croit que s’ils s’étaient méfiés, les gens auraient eu le temps de sortir des édifices avant que ces derniers s’effondrent.

Chez lui, seulement quelques fissures sont apparues sur les murs, mais la maison a résisté au tremblement de terre. Cependant, il n’a pas réintégré les lieux tout de suite. La première journée, les gens avaient eu comme consigne de rester à l’extérieur en raison des risques. Il a donc dormi dans sa voiture. Il a attendu deux semaines avant de retourner vivre dans sa maison, par peur que le toit lui tombe sur la tête.

Lente reconstruction

« Avec mon travail, j’ai travaillé dans un camp d’hébergement. On apportait des rations, on faisait le suivi des blessés dans les hôpitaux, raconte-t-il. Les routes étaient impraticables. Il n’y avait pas de carburant... Donc, l’organisme prêtait ses véhicules pour transporter les blessés. »

Il y a encore des camps de réfugiés aujourd’hui en Haïti. « Il y a pas mal de gens qui n’étaient pas des victimes, mais qui ont profité de l’occasion pour se faire passer pour des victimes, affirme Ricardo Germain. Au lieu de payer le loyer, ils trouvaient que c’était mieux d’aller dans un camp, puisqu’on n’y paie rien. On te donne le logement et la nourriture. »

La reconstruction, quant à elle, prend du temps et se fait sous le signe de l’anarchie. Beaucoup ont profité de l’occasion pour se rapprocher des villes, mais demeurent en périphérie, où il est plus facile de s’y construire.



Des quartiers complets ont été érigés à flanc de montagne sur des terres de l’État, là où il n’y avait pas besoin de permis et de plans. Les maisons ont été construites avec peu de moyens, sans aide de l’État ou d’ONG. Elles ne sont toutefois pas faites pour résister aux catastrophes naturelles.

Le résultat est plutôt chaotique et a engendré d’autres problèmes, comme de l’érosion et des inondations.

Le tracé de plusieurs villes a aussi beaucoup changé. Des ponts n’ont pas été reconstruits, des solutions ont donc dû être trouvées.

« Il y avait pas mal de promesses. On avait dit qu’on en profiterait pour reconstruire les villes de façon moderne. Même le Palais national, qui s’est effondré, n’est toujours pas reconstruit. On n’a même pas commencé... »

Un concours d’architecture pour la reconstruction de la résidence principale du président a eu lieu. Les quatre finalistes ont été dévoilés le 7 janvier dernier. Le gagnant sera connu le 12 janvier, à l’occasion de la commémoration de la tragédie.

De nombreux Haïtiens ont tout perdu dans le terrible séisme qui a ravagé la perle des Antilles en 2010.

Départ pour le Québec

Trois ans après le séisme, M. Germain, sa femme et leur fils, qui avait trois ans lors du séisme, sont arrivés au Québec. À la fin de 2009, ils avaient fait une demande en vertu d’un programme de travailleurs qualifiés. Lui est informaticien de formation et elle, infirmière. Dans les circonstances, ce n’est qu’en 2012 que le dossier a suivi son cours. La vie ne leur a pas laissé tout de suite la possibilité de se reposer.

« On pensait qu’arriver ici, ça ne serait pas difficile de s’intégrer, mais on a été obligés de faire l’équivalence de nos diplômes. »

Il leur a ensuite fallu du temps pour trouver du travail.



« On nous disait qu’on n’avait pas l’expérience québécoise... C’est pour ça qu’on est arrivés ici, à Granby. »

M. Germain n’a pas trouvé d’emploi en informatique à Granby, mais il travaille comme machiniste dans une usine du parc industriel. Sa femme a déniché un poste d’infirmière dans une résidence pour aînés.

SYNDROME POST-TRAUMATIQUE

Dix ans après le séisme meurtrier qui a ravagé Haïti, Ricardo Germain a toujours des séquelles. « Dès qu’il y a un peu de vibrations, je panique. Les deux premiers mois, ça vibrait dans ma tête. Quand je voyais que tout le monde était calme, je savais qu’il n’y avait pas de problème et je me rendais compte que c’était dans ma tête. » 

La peur est également restée longtemps en Haïti. Clément Roy, de l’Association québécoise pour l’avancement des Nations Unies (AQANU) de Granby et région, l’a remarqué en 2014, lorsqu’il est allé à Port-au-Prince pour y travailler.

« Il faisait très chaud, alors on a sorti les tables pour travailler dehors. J’ai amené une table un peu à l’abri, sous un balcon, où il y avait un peu plus d’ombre. Les gens, quand ils m’ont vu amener la table là, ils ont regardé au-dessus de nous et ont dit qu’ils ne travailleraient pas là. Si ça tombe, ils ne veulent pas être en dessous. »

Le traumatisme est encore grand. Avec plus de 200 000 morts et 1,5 million de blessés, toute la communauté a été touchée.

« Après le tremblement de terre, il n’y avait pas vraiment de support psychologique, reprend Ricardo Germain. Chez nous, il n’y a pas beaucoup de cliniques pour ce genre de choses, alors ce n’est pas facile d’aller voir un psychologue. Et c’est dispendieux aussi. »

Seules quelques personnes plus fortunées ont pu avoir accès à ce genre de service. 

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Apprendre à pêcher

L’Association québécoise pour l’avancement des Nations Unies (AQANU) de Granby et région, qui se concentre sur l’aide aux Haïtiens, fête ses dix ans. Un anniversaire teinté par la tragédie qu’a laissé derrière lui le puissant séisme de 2010. La division de Granby a été créée après le tremblement de terre afin d’aider la population locale, à sa façon. L’organisme aide ainsi les Haïtiens à se reprendre en main.

Quatre grands projets ont été menés au fil des ans, grâce aux dons reçus et à la vente de cafés produits par la coopérative de solidarité haïtienne Noula.

Le premier projet a permis à un orphelinat d’acheter des lits pour les enfants, souvent handicapés, d’avoir l’électricité et accès à de l’eau.

En 2014, l’organisme de Granby a amassé des fonds pour créer un carnet d’adresses destiné aux coopératives productrices de café pour qu’elles puissent s’entraider. Les organismes pouvant leur venir en aide étaient aussi ajoutés à cette base de données. 

Le troisième projet a jeté les bases d’un programme plus vaste repris par d’autres organisations, inspiré de la bourse volontaire du carbone.

Clément Roy, de l’Association québécoise pour l’avancement des Nations Unies (AQANU) de Granby et région

« Il faut d’autres arbres pour faire pousser le café, qui préfère l’ombre, explique Clément Roy, de l’AQANU Granby et région. Si on travaille à développer la culture du café, on doit reboiser. Si on reboise, on peut obtenir des crédits de carbone pour la plantation d’arbres. Ce n’est pas simple, ça ne se fait pas en deux ans, on parle plus d’un horizon de 10 à 20 ans. On a fait une étude de faisabilité et la conclusion a été bonne. D’autres organismes non gouvernementaux ont repris notre projet pour que les propriétaires de plantations de café puissent obtenir des crédits de carbone. »

Le projet actuel, en cours depuis 2019, permet à 11 familles d’avoir un prêt de 450 $ pour mettre en place une petite entreprise agricole qui leur permettra de subvenir à leurs besoins et de faire des économies. « On a mis 5000 $ en 2019 et on se prépare à en mettre 10 000 $. Ce projet-là, ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui le mènent », indique M. Roy.

Il s’agit du programme Les savoirs des gens de la terre, de l’UPA Développement international (UPA DI), qui a déjà fait ses preuves au Sénégal. La Fondation pour le développement économique et social, une organisation non gouvernementale haïtienne, est responsable de la mise en œuvre du programme en assurant notamment la formation et un accompagnement de proximité avec les regroupements paysans.

L’AQANU de Granby et région s’est donc jointe à ce programme et, grâce à l’argent injecté jusqu’à présent, l’organisme local aide 11 des 60 familles du programme.

« On fonctionne par microcrédit. Ces familles-là ont trois ou quatre ans pour remettre les 450 $. L’expérience a montré qu’après deux ans, il y en avait un tiers de remboursé. Donc, ça nous dit que ça marche. S’ils sont capables de rembourser, c’est qu’au bout de quatre ans, ils ont une entreprise rentable qui génère des revenus. »

Une fois le prêt remboursé, l’argent est prêté à une autre famille.

Dans les 60 projets, 10 visent l’augmentation de la production de café, 29 la culture du haricot, un aliment de base là-bas, 13 la culture maraîchère et 8 l’élevage.

La qualité de vie de ces familles augmente ainsi considérablement. Non seulement les adultes apprennent à lire et à écrire, mais les enfants peuvent aussi aller à l’école grâce aux revenus générés.

Cette façon d’aider permet de mettre l’avenir des Haïtiens entre leurs propres mains. « C’est la meilleure façon de faire, note Ricardo Germain. Chez nous, on dit qu’il ne faut pas donner le poisson à quelqu’un. Il faut plutôt lui apprendre à pêcher. »

Pour réussir à faire tous ces projets, l’AQANU de Granby a son Club des 100. Ce sont des gens qui font un don de 100 $ ou plus. Il est aussi possible d’acheter des sacs de café haïtien qu’on peut se procurer en communiquant avec l’organisme par courriel à l’adresse aqanugranby@gmail.com. Chaque sac permet d’amasser 5 $ qui sera réinvesti en Haïti, mais aussi d’encourager des producteurs locaux.