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Les signalements en lien avec les crimes et incidents haineux au Québec sont à la hausse, mentionnent les co-directeurs de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent (OSR). Selon l’un d’entre eux, David Morin, également professeur agrégé à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, il existe trois degrés à la radicalisation.
Il y a d’abord la profération de propos racistes, ce qui n’est pas illégal en soi, bien que « moralement condamnable ». La radicalisation monte d’un cran lorsque les propos tenus sont haineux, c’est-à-dire qu’ils incitent à la violence et qu’ils ciblent des groupes sociaux particuliers. Le grade le plus inquiétant de la radicalisation est le passage à l’acte violent. « On tombe dans un autre registre quand il ne s’agit plus que de paroles », indique le spécialiste.
Heureusement, nuance-t-il, ce n’est qu’une minorité qui passe à l’acte.
Malgré cela, les signalements recensés ne seraient que la pointe de l’iceberg, estime son collègue Stéphane Leman-Langlois, professeur titulaire au programme de criminologie à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval. « Il pourrait y avoir encore plus de cas que ceux qui sont signalés, puisque le dark web est immense. Il y a énormément d’activités en ligne qui n’y sont pas détectées », dit-il.
« Des individus comme Valentin Auclair ou Pierre Dion se croient intouchables et se cachent soit très peu, ou très mal. Ils ont été très faciles à identifier, poursuit l’expert. D’autres sont beaucoup plus habiles pour se faire discrets : ceux qui parlent le moins peuvent être les plus violents. »
L’attentat à la Mosquée de Québec, perpétré par Alexandre Bisonnette, a agi comme un réveil collectif face au radicalisme, estime Benjamin Ducol, directeur général adjoint du Centre de prévention de la radicalisation menant à des actes de violence (CPRMV).
« Ils existent depuis longtemps, mais c’est juste qu’on n’y faisait pas attention auparavant. Maintenant, on ne laisse plus de telles menaces passer. Nous nous sommes aperçus que les discours haineux avaient des conséquences, estime-t-il. Même si l’auteur de ces propos ne passe pas à l’acte, ceux-ci peuvent être suffisants pour inciter quelqu’un d’autre à le faire. »
Comportement variable
M. Morin estime que M. Auclair a « clairement dépassé la limite » entre ce qu’il qualifie d’un « incident haineux » et un « crime haineux ».
En vertu des barèmes établis par le CPRMV, les publications de Valentin Auclair se catégorisent principalement, mais pas exclusivement, dans les « comportements inquiétants », soit l’avant-dernier échelon de la radicalisation avant des actes de violence.
Ce grade inclut entre autres la légitimation « de l’emploi de la violence pour défendre une cause ou une idéologie », le rapprochement avec des individus ou des « groupes reconnus comme étant des extrémistes violents », l’adoption d’un discours « haineux à propos d’autres individus ou d’autres groupes » et l’obsession de « la fin du monde ou les discours messianiques ».
Il ne faut toutefois pas sauter aux conclusions trop vite, prévient Benjamin Ducol. « C’est un outil de diagnostic qui permet de positionner quelqu’un sur le spectre de la radicalisation. Les comportements peuvent appartenir à plusieurs catégories et le niveau de radicalisation peut varier, dans un sens comme dans l’autre, avec le temps », dit-il.
Pour un accompagnement psychosocial préventif
« La plupart des gens au comportement préoccupant présentent une combinaison de problèmes mentaux ou personnels », évalue M. Leman-Langlois.
« C’est tout de même une perception caricaturale. On remarque une diversité de profils chez les personnes radicalisées. Ce serait facile si elles étaient toutes aux prises avec des problèmes mentaux ou sociaux, mais ce n’est pas du tout le cas », souligne M. Ducol.
Des mécanismes similaires sont toutefois observables dans le parcours de radicalisation de la plupart des personnes concernées, nuance-t-il. « Elles ressentent un sentiment d’injustice et un certain malaise par rapport à ce qu’elles constatent dans la société et qui n’est pas nécessairement quelque chose qui va rejoindre leur situation personnelle. »
Ces personnes auront aussi tendance à s’isoler dans une bulle idéologique, ajoute M. Ducol. « C’est quelque chose de très pernicieux, car très progressif, explique-t-il. Ces gens vont être tellement convaincus de détenir la vérité qu’ils vont graduellement délaisser tout contenu qui s’oppose à leur pensée au profit de ceux qui confortent leur opinion. »
Néanmoins, combinée à des problématiques de santé mentale, la radicalisation peut transformer un individu en bombe à retardement. « Quand la santé mentale entre en jeu, la réponse à la radicalisation ne peut pas être simplement policière et judiciaire. Ces cas nécessitent un accompagnement psychosocial, idéalement en amont, plaide David Morin. Encore faut-il que la personne accepte de suivre le processus. »
Meutes virtuelles
Si les groupes de personnes radicalisées existent depuis longtemps, l’accès à des contenus favorisant cette radicalisation est grandement facilité par internet, qui permet la diffusion et le partage de ces contenus, mais aussi la « création de tribus numériques ».
« L’exposition de propos radicaux peut créer un effet de contagion chez ceux qui partagent déjà ces opinions ; ils y voient une forme de légitimation. Ces gens se montent le bourrichon les uns les autres », constate M. Morin, qui juge ainsi inapproprié de parler de « loups solitaires » dans ce genre de cas étant donné les meutes virtuelles qui leur donnent naissance et qui les alimentent.
Enfin, bien que nombre d’individus radicalisés prêchent la liberté d’expression pour justifier la publication ou le partage de propos choquants ou ciblant certains groupes sociaux, celle-ci a des limites, rappelle-t-on.
« Au Canada, on ne peut pas se cacher derrière la liberté d’expression pour inciter à commettre des crimes », note M. Morin.