Fondation de la neurodiversité: un nom à l’origine d’une contestation

Alexandre Lapointe juge la confusion actuelle conflictuelle, car son entreprise et la fondation de M. Martineau sont en désaccord sur certains points, par exemple l’utilisation de robots.

Un citoyen de Mascouche somme le Bromontois Danny Martineau de renommer sa fondation venant en aide aux enfants autistes. Il soutient que l’emploi du terme « neurodiversité » dans le nom officiel de l’organisation sème la confusion entre celle-ci et son entreprise.


Alexandre Lapointe a contacté La Voix de l’Est, cette semaine après avoir pris connaissance d’un article paru le 4 octobre dernier à propos de la Fondation de la neurodiversité, mise sur pied par M. Martineau.

M. Lapointe est derrière l’entreprise La neurodiversité, qui offre essentiellement des conférences sur le sujet et vise à bâtir une communauté autour du concept. Sa conjointe est également l’auteure d’un livre intitulé La neurodiversité paru en 2017, même année où leur compagnie a été inscrite officiellement au Registre des entreprises du Québec.



M. Lapointe, qui allègue avoir commencé à utiliser le terme « neurodiversité » aux environs de 2012 ou 2013, au moment de lancer une page Facebook, raconte avoir communiqué avec M. Martineau il y a un an pour lui demander de cesser d’utiliser le terme « neurodiversité ».

« Je lui ai dit qu’on exploitait le nom depuis plusieurs années et que ça faisait référence à nous, qu’il exploitait notre nom et notre concept », explique-t-il, ajoutant se faire demander régulièrement s’il est lui-même à l’origine de la fondation.

« Je n’ai rien contre son projet, mais qu’il n’utilise pas notre nom. Plus sa fondation va prendre d’ampleur, plus le flou qui existe entre nos organisations va grandir », poursuit-il.

M. Lapointe juge la situation conflictuelle, car son entreprise et la fondation de M. Martineau sont en désaccord sur certains points, par exemple l’utilisation de robots.



Danny Martineau a rempli une demande auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada pour obtenir la marque de commerce sur l’expression «Fondation de la neurodiversité» pour le Canada en novembre 2018.

Si la Fondation compte miser sur la technologie pour soutenir les enfants autistes, M. Lapointe et sa conjointe prêchent plutôt pour un changement des mentalités. « On s’oppose aux robots, car pour nous, c’est un pas de recul sur le côté humain, relève le conférencier. On pense qu’il est préférable de s’attaquer aux jugements et aux préjugés, qui est une véritable solution. »

« De plus en plus utilisé »

Preuves à l’appui, M. Martineau a indiqué avoir rempli une demande auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada pour obtenir la marque de commerce sur l’expression « Fondation de la neurodiversité » pour le Canada en novembre 2018, demande qui peut prendre de 12 à 18 mois avant d’être officialisée et à laquelle M. Lapointe compte s’opposer.

« Nous avons construit une image autour du concept de la neurodiversité. J’ai travaillé avec un cabinet d’avocats afin de réaliser l’ensemble des enregistrements dans le but d’assurer la légalité de tout le processus. C’est simplement pour protéger la fondation et je n’empêche pas les autres d’utiliser [le mot]. En fait, c’est un terme qui est utilisé de plus en plus à travers le monde », a répondu le Bromontois à La Voix de l’Est.

D’ailleurs, ni M. Lapointe ni M. Martineau ne revendiquent la paternité du terme « neurodiversité » ; tous deux reconnaissent que l’expression a été inventée par une autiste et militante australienne, Judy Singer, et reprise dans les médias par le journaliste Harvey Blume à la fin des années 1990.

« Mais nous on l’a traduit et on l’a propulsé en français au bénéfice de l’ensemble de la population », soutient M. Lapointe.

M. Martineau ne s’explique pas cette sortie de M. Lapointe, qu’il accuse de l’avoir « intimidé » lors de leur échange de l’an dernier. « J’ai fondé un organisme à but non lucratif auquel j’ai donné des milliers d’heures sans toucher de salaire. Est-ce un problème d’ego ou de jalousie parce qu’on suscite de l’intérêt dans le monde ? », demande-t-il.



Une recherche rapide sur le Registre des entreprises du Québec permet de constater que 29 organisations contiennent le terme « neurodiversité » dans leur appellation, en français ou en anglais. Du nombre, plusieurs font effectivement référence à l’entreprise de M. Lapointe et de sa conjointe, qui ont aussi enregistré la Journée mondiale de la neurodiversité et « neuromanité », entre autres.

Par contre, en plus de la Fondation de la neurodiversité de M. Martineau, d’autres entrepreneurs utilisent le terme dans la dénomination de leur organisation, par exemple l’Académie (ou Institut) de la neurodiversité et Mieux comprendre la neurodiversité, toutes enregistrées en janvier 2018. Une psychologue du secteur Dollard-des-Ormeaux a également enregistré sa pratique avec le fameux mot qui fait notamment référence au trouble du spectre de l’autisme et aux autres états neurologiques « différents » tels la déficience intellectuelle et la douance, pour ne nommer que ceux-là.

DIFFICILE D'UTILISER EXCLUSIVEMENT UN MOT

Des spécialistes en marketing et en marques de commerce estiment que les chances d’Alexandre Lapointe d’empêcher Danny Martineau d’utiliser le terme « neurodiversité » dans le nom de sa fondation sont minces. Cependant, il n’est pas dit que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) acceptera la demande de ce dernier.

Richard Leclerc, fondateur de l’agence Publici-Terre et chargé de cours au Département de communication de l’Université de Montréal, rappelle qu’il est primordial d’enregistrer son nom d’entreprise dès le départ afin de le protéger. « C’est la première étape, sinon on est mal parti », dit-il.

Légalement, c’est le premier qui en fait la demande qui acquiert une marque de commerce, en autant que son libellé ne soit pas trop vague et restrictif pour d’autres organisations dans son domaine.

« En vertu de la loi sur les marques de commerce, aucun demandeur ne peut s’approprier un mot descriptif qu’on retrouve dans une industrie, spécifie d’emblée Me Catherine Bergeon, avocate et agente de marques au cabinet ROBIC, spécialisé en propriété intellectuelle. À moins que la personne ait créé un terme de toutes pièces et qu’elle n’ait pas permis à personne d’autre de s’en servir, il serait difficile de vouloir se réserver l’usage exclusif d’un mot qui est utilisé par plusieurs personnes. »

C’est aussi ce que croient
M. Leclerc et Jean Roy, professeur au département marketing de l’Université de Sherbrooke. « C’est très difficile d’obtenir une marque de commerce sur un mot trop générique ; il vaut mieux miser sur une expression, par exemple McDonald’s qui a une marque de commerce sur l’ensemble de mots ‘‘Joyeux Festin’’ », explique ce dernier.

Contester une demande d’enregistrement est aussi une tâche ardue. « La personne qui voudrait s’opposer à l’enregistrement ou à l’usage d’une marque doit démontrer qu’elle en détient l’usage exclusif ou un droit d’usage antérieur, explique Me Bergeron. Et encore là, c’est très difficile à prouver. »