Sarah-Jade Parent, Catherine Bernard et Gabriel Tremblay ont fait partie de la première cohorte de l’Université de Sherbrooke au Baccalauréat en sciences infirmières dans le « cheminement formation initiale ». Lancé en 2015, le programme dure trois ans. Le trio a dû commencer au bas de l’échelle salariale (échelon 1) lorsqu’on les a embauchés, il y a quelques mois, à l’hôpital de Granby.
Or, leurs collègues qui ont complété un « cheminement intégré », ayant acquis une partie de leurs connaissances au collégial avant de terminer leur formation à l’université (DEC-BAC), sont mieux rémunérés dans le même établissement.
Idem pour d’autres infirmiers ayant suivi le même parcours professionnel et académique qu’eux, œuvrant dans d’autres hôpitaux hors du territoire du CIUSSS de l’Estrie.
Un « non-sens », clament-ils. « On s’est fait tromper. En entrant au bac, on s’est fait dire que notre programme était pareil à celui du DEC-BAC. Qu’il n’y aurait pas de différence dans la reconnaissance une fois à l’emploi. Mais dans le fond, on n’est même pas capables d’obtenir l’équité salariale pour un même diplôme et les mêmes tâches », mentionne Catherine.
Tous les trois songent à quitter le centre hospitalier de Granby (CHG) pour aller travailler ailleurs. « Je n’ai aucune raison de rester à Granby. Je n’ai pas d’ancienneté et je ne suis pas reconnue à ma juste valeur. Mon c.v. est prêt », renchérit Sarah-Jade. « À 30 minutes d’ici, à Saint-Hyacinthe, je peux gagner plus de 30 $ de l’heure (échelon 8). C’est presque 6 $ de l’heure de plus que ce que je gagne actuellement. C’est la même chose dans les hôpitaux sur l’île de Montréal et à Saint-Jean-sur-Richelieu », cite en exemples Gabriel. « Au-delà de l’aspect monétaire, ajoute Catherine, le respect de l’équité est un gros problème. »
Répercussions
Vérification faite auprès de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), une vingtaine d’infirmiers œuvrant au sein du CIUSSS de l’Estrie ont déposé des plaintes à leur syndicat concernant les « inégalités salariales » en question.
La FIQ confirme aussi que l’embauche, à rémunération égale, de bacheliers en soins infirmiers émanant des deux programmes universitaires est monnaie courante. Notamment dans des hôpitaux en Montérégie, à Montréal et en périphérie.
Selon les plus récentes données de la FIQ, le salaire horaire d’un infirmier clinicien est de 24,76 $ (échelon 1), tandis qu’il s’élève à 29,37 $ (échelon 7) et à 30,93 $ pour le niveau suivant. L’écart des gains annuels d’un infirmier bachelier (formation initiale) travaillant au sein du CIUSSS de l’Estrie peut donc atteindre plus de 9000 $ comparativement à ses collègues ayant un DEC-BAC ou occupant un poste similaire dans un autre Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS). Sans compter la variation de rémunération lors des heures supplémentaires, le fameux TSO.
Une situation que déplore la présidente du Syndicat des professionnelles en soins des Cantons-de-l’Est (FIQ-SPSCE), Sophie Séguin. « C’est inconcevable d’avoir des gens qui ont les mêmes qualifications et qui n’ont pas le même salaire, fait-elle valoir. C’est un combat que l’on va mener auprès de l’employeur. »
Mme Séguin évoque non seulement que cette iniquité salariale aura des répercussions néfastes sur l’attraction et la rétention de main-d’œuvre au sein du CIUSSS, mais aussi dans le programme universitaire en « formation initiale ». « Il manque des infirmières partout. On doit trouver le moyen de les attirer, pas de les décourager, clame-t-elle. [...] Et à l’ère des médias sociaux, le vent peut tourner assez vite. Si la situation n’est pas corrigée, le mot va se passer et les étudiants en sciences infirmières vont se tourner uniquement vers le DEC-BAC. L’Université de Sherbrooke sortira perdante dans tout ça. »
Divergences
La présidente syndicale affirme que le CIUSSS de l’Estrie est bien au fait du problème et maintient la ligne dure. Selon Mme Séguin, l’employeur soutient que son application actuelle de la convention collective envers les infirmiers cliniciens n’est pas fautive, même si d’autres CISSS préconisent une approche contraire.
De son côté, le CIUSSS de l’Estrie évoque que les infirmiers cliniciens du DEC-BAC ont plus d’expérience en raison de stages de plusieurs mois, décrits comme une « candidature à l’exercice de la profession ». « Cette expérience est reconnue au niveau des conventions collectives pour l’avancement salarial », indique François Tousignant, directeur adjoint aux ressources humaines au sein de l’organisation. Ce que réfute Vincent Veilleux, conseiller syndical à la FIQ. « C’est un argument qui ne tient pas la route, assure-t-il. Une infirmière qui fait des stages n’est pas reconnue dans son avancement d’échelon. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour le DEC-BAC. Et peu importe le programme, les infirmières cliniciennes font le même travail sur le plancher. »
Bien qu’il concède que le CIUSSS soit au courant des disparités salariales à travers le réseau, M. Tousignant maintient qu’il s’agit d’un « choix » émanant de chaque organisation. « Comme région, on applique les règles des conventions collectives. On en fait une question d’équité. »
Or, ce « choix » va-t-il à l’encontre de la logique en contexte de pénurie de main-d’œuvre? « La rétention et l’attraction de main-d’œuvre ne sont pas seulement une question salariale, fait valoir M. Tousignant. D’autres facteurs peuvent expliquer qu’une personne demeure à un endroit. » Rappelons que les deux parties devront entamer des pourparlers sous peu pour renouveler la convention collective, qui sera échue en avril 2019.
En entrant au bac, on s’est fait dire que notre programme était pareil à celui du DEC-BAC. [...] Mais dans le fond, on n’est même pas capables d’obtenir l’équité salariale pour un même diplôme et les mêmes tâches.