« Si on est à la base de la violence, il faut aussi être à la base du changement », avait souligné Dominique Lequin, formateur en alphabétisation populaire au Sac à mots, à Cowansville, lors de ce déjeuner qui a eu lieu le 28 novembre dernier, dans le cadre des douze jours d’action pour l’élimination de la violence envers les femmes.
Les directrices et coordonnatrices des six groupes de femmes membres de la Coalition sont revenues sur cette rencontre importante, qui était une première dans la région, le jeudi 6 décembre — journée commémorant la tuerie de Polytechnique*.
« La violence faite aux femmes va au-delà de la sphère privée », insiste Carmen Paquin, directrice de la Maison Alice-Desmarais, le centre d’hébergement pour femmes en Haute-Yamaska. [Cette violence] relève de la sphère publique. Tout le monde doit s’en mêler. Oui, nous comme organismes auprès des femmes, on fait tout un travail, mais individuellement, chacun de nous doit en parler à la maison et au travail. Il faut développer une intolérance à toutes les formes de violence, qu’elle soit physique, psychologique, verbale, sexuelle, sociale ou économique. Il faut dénoncer, il faut arrêter de rire, il faut arrêter d’être silencieux, parce que ces comportements valident [la violence]. Ça appartient à tout le monde. »
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Sensibiliser
La rencontre du 28 novembre a ainsi rassemblé 24 hommes issus de différents milieux: policiers, directeurs d’école, intervenants communautaires, restaurateurs, travailleurs autonomes, ou encore fonctionnaires. « On a choisi de garder ces personnes anonymes [hormis M. Lequin, sorti publiquement], étant donné la nature du sujet et notre engagement envers les participants », a indiqué Jean-François Couture, animateur du Déjeuner.
C’est surtout à titre d’homme, et comme citoyen, que ces personnes ont été invitées, rappelle Mme Paquin. « Le grand objectif de l’événement était de les réunir et de savoir ce qu’ils étaient prêts à faire individuellement et collectivement pour aider la lutte à la violence faite aux femmes. »
À l’issue de ce déjeuner qui a duré près de trois heures, ces hommes ont souligné le manque d’informations et de ressources vers lesquelles les personnes concernées — hommes, femmes ou enfants — pouvaient se tourner dans un cas de violence faite aux femmes.
Certaines personnes présentes — cinq ou six, selon M. Couture — se sont aussi engagées à réaliser des actions, soit de parler de cette violence à la maison et avec des collègues, de ne pas tolérer les blagues sexistes, de mettre en place des politiques d’équité salariale au travail, et de sensibiliser les jeunes à l’école et à la maison.
« On a 20 personnes qui ont désormais une nouvelle perception du phénomène, assure
M. Couture. On a changé ces individus-là, qui vont poser une action concrète. » Par exemple, un directeur d’école s’est engagé à intégrer une politique d’égalité et de non-harcèlement dans l’établissement scolaire qu’il dirige.
Parmi les hommes présents au Déjeuner, un père de famille a pris conscience de sa responsabilité parentale, souligne Cathie Sombret, coordonnatrice de la maison Horizon pour elle : « Il y avait des papas parmi ces hommes, et l’un d’eux, [qui a aussi deux filles], a dit “Ok, j’ai une discussion à avoir avec mon fils”. J’ai trouvé cela très touchant, car on a vu qu’il prenait conscience de l’importance de sensibiliser les jeunes. C’était un moment fort de comprendre que c’est aussi aux papas de s’impliquer. »
Dynamique
Selon Chantal Brassard, coordonnatrice du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, cet événement a bénéficié d’une dynamique favorable. « Depuis le mouvement du #moiaussi, on entend beaucoup d’hommes dire : “Moi, je veux me prononcer, je suis contre la violence et je ne veux plus tolérer ça. Qu’est-ce que je peux faire?” »
« C’est le début d’un mouvement qui est lancé », croit quant à lui
M. Couture.
À noter que ce Déjeuner des hommes est le premier événement du genre à avoir lieu en région. Il a été inspiré par l’équivalent organisé depuis quatre ans par la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec, à Montréal.
En milieu de travail, au Canada, 42 % des femmes sont victimes de harcèlement sexuel.
* Le 6 décembre 1989, Marc Lépine a tué 14 jeunes femmes à l’École Polytechnique de Montréal.
LISTES D'ATTENTE
« Il y a très peu d’aide [financière] pour les organismes qui viennent en aide aux femmes dans la région », rappelle Jean-François Couture, qui a animé le Déjeuner pour hommes qui a eu lieu le 28 novembre dernier, dans le cadre des 12 jours d’action pour l’élimination des violences envers les femmes.
Ces différentes organisations peinent pourtant à répondre à la demande. À la maison Alice-Desmarais, le délai d’attente pour obtenir des services sans hébergement est de trois mois. « Avec un tel délai, le cycle de la violence a eu le temps de faire plusieurs tours. On devrait pouvoir proposer une rencontre à la femme victime de violence dans un délai maximum d’une semaine », précise la directrice Carmen Paquin.
Selon elle, les demandes ne cessent d’augmenter, alors que l’offre de services stagne et qu’il est de plus en plus difficile de recruter des intervenants avec la pénurie de main-d’œuvre.
Les demandes affluent également au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, selon sa coordonnatrice, Chantal Brassard. « Avec la vague du #moiaussi, on est passé l’année dernière de 125 à 200 demandes de services, et ça tend à augmenter encore beaucoup plus cette année. De nombreux intervenants scolaires nous contactent aussi. »