«J'haïssais l'école, je ne voulais rien savoir, se souvient le bouquiniste de 35 ans. Je n'en voyais pas l'utilité.» Indiscipliné, peu doué pour les études, il n'avait jamais lu un livre en entier. «Je voulais juste tripper avec mes chums.»
Il a fait plusieurs boulots - surtout en usine et souvent malpropres -, mais s'est lassé de trimer dur pour un petit salaire. «Je voyais mon patron avec sa Mercedes, et je me suis dit que je pouvais faire mieux.»
À ce moment-là, «rien n'allait bien» dans sa vie, dit-il. Il songe même au suicide. Ce sera le coup nécessaire pour l'inciter à retourner aux études, à 21 ans, en s'inscrivant à la formation pour adultes au Centre régional intégré de formation, à Granby.
Espoir
Là, nouveau choc: son français est si mauvais qu'on le place en alphabétisation «avec les immigrants», rigole M. Fortin aujourd'hui. «Je capotais, mais je me suis dit que je n'avais pas le choix. J'étais plus vieux, aussi, c'était plus facile. Je voyais ça d'un oeil différent et je savais que c'était important de le faire. Je voulais m'en sortir.»
Il se raccroche à l'idée qu'il peut, qu'il doit s'améliorer. Une travailleuse sociale établit aussi son profil: sociable, avec un intérêt pour les affaires. Pourquoi pas la gestion de commerce? «Ça avait l'air cool! J'ai découvert qui j'étais, j'ai appris à me connaître.»
Entre-temps, sous l'inspiration d'une copine, il se découvre une passion pour la lecture. D'abord avec de petits articles, puis avec des livres de croissance personnelle, qu'il dévore. «J'haïssais les livres pour mourir. Maintenant, c'est une passion.» Il finit son secondaire et poursuit ses études au Cégep de Saint-Hyacinthe, où il s'implique beaucoup et obtient, contre toute attente, une moyenne de 93 %.
Son attestation d'études collégiales en poche, il cogne à la porte de plusieurs commerces, mais revient bredouille. On lui reproche sa longue chevelure - dans laquelle il refuse toujours de mettre les ciseaux - et son unilinguisme, auquel il remédie en allant travailler en Alberta. D'où il revient pour subir une opération cardiaque due à une anomalie de naissance, ce qui lui laisse une balafre à la poitrine.
Richesse
Durant sa convalescence, il apprend que son père vend sa vieille librairie de livres usagés, à Beloeil, et décide de la reprendre, jumelant ainsi sa passion et sa formation en gestion.
Sans les livres, il ne serait pas rendu là où il est, dit-il. «Les livres ont transformé ma vie. Ils ont des réponses, une grande richesse. Ma mission, c'est de les faire aimer et découvrir. Plus les élèves prennent goût à la lecture étant jeunes, moins ils ont le goût de décrocher.»
Aujourd'hui, il donne des conférences dans les écoles, comme lors des Journées de la persévérance scolaire, qui ont lieu cette semaine. «C'est plate le secondaire, reconnaît Frédéric Fortin. Mais c'est une étape importante, ça t'ouvre des portes. C'est ça que je dis aux jeunes. L'école, il faut y aller, t'en as besoin. Il faut se donner la peine. Si je l'ai fait, n'importe qui peut le faire!»
Le nom de sa librairie, Les trésors du futur, est un clin d'oeil à l'avenir incertain du livre. Mais il refuse de croire à sa disparition. «Ça ne peut pas disparaître, dit-il. Parce qu'un livre, ça peut changer une vie.»