«Ils lui ont tout enlevé en une journée»

Dimanche dernier, Yvan Tremblay a mis fin à ses jours. Forcé de quitter rapidement son petit logement adapté du Domaine Vittie Desjardins pour des raisons administratives, l'homme quadriplégique a préféré en finir plutôt que «d'être mis dans une prison». Histoire d'une victime collatérale de la tragédie de L'Isle-Verte.


«Durant 17 ans, Yvan s'est battu pour avoir une certaine qualité de vie. Et ils lui ont tout enlevé en une journée», laisse tomber son amie de longue date, Denise Godbout. En refusant de se taire, M. Tremblay, se console-t-elle, ne sera pas mort en vain.

Depuis l'incendie meurtrier de L'Isle-Verte, le gouvernement a revu les règles de sécurité dans les centres d'hébergement du Québec. Ce faisant, Yvan Tremblay ne correspondait plus aux critères de l'établissement, qui ne pouvait plus assurer son évacuation en cas de sinistre.

Avisé de cette décision au cours de l'été, l'homme a tout fait pour demeurer dans son appartement qu'il occupait depuis presque 10 ans. Un petit cocon qui convenait parfaitement à ses besoins, malgré son lourd handicap. «Il avait sa musique, son bureau, son ordinateur, sa cuisine, sa télévision. C'était un gars brillant, informé, débrouillard qui, avec ses deux frères, avait "patenté" une multitude d'objets pour lui faciliter la vie. Il avait conservé une grande autonomie, même s'il était paralysé à partir du cou», explique Mme Godbout.

Un personnage

Yvan Tremblay oeuvrait dans le domaine de la construction quand un grave accident de travail l'a confiné à un fauteuil roulant. Pilote de petit avion, actif et furieusement indépendant, l'homme avait 50 ans quand sa vie a basculé. «Yvan, c'était un homme de liberté totale. Il ne s'est jamais plaint de sa situation, il a assumé cette souffrance avec beaucoup de dignité. C'était un solitaire, mais qui aimait jaser. Il avait plusieurs amis proches», confie celle qui l'a côtoyé durant 40 ans.

En raison de son état, oui, le suicide avait été abordé dans le passé, mais M. Tremblay n'est jamais passé à l'acte. Selon Denise Godbout, ce déracinement forcé a été la goutte qui a fait déborder le vase. «On l'obligeait à partir à la fin septembre, sinon, c'est eux qui le ''plaçaient''. Il perdait toute son autonomie, on lui réenlevait sa vie en le transférant dans une chambre sans cuisine et sans assez d'espace pour toutes ses choses. Ils le remettaient dans une prison."

Les formulaires

Mme Godbout déplore qu'un formulaire ait décidé du destin de son ami. "C'était des questions qui ne correspondaient pas à sa situation. Ils l'ont coté 9, alors que le Domaine Vittie-Desjardins accepte jusqu'à 6. Mais il avait toujours été coté 9! Mais dans son cas, les services étaient payés par la CSST; le centre avait peu de soins à lui fournir. La nuit, ils disaient ne plus pouvoir le lever en cas d'incendie. Nous avons offert de payer quelqu'un pour être sur place. Ils n'ont jamais donné suite."

"Je n'en veux pas aux personnes, j'en veux au système. Ils étaient seulement des pantins qui répondaient aux directives du ministère. Mais qu'est-ce qui pressait tant? Pourquoi le bousculer sans répondre à ses besoins? Ils ont seulement appliqué les règles à la lettre", constate Mme Godbout.

La dame rappelle, preuve à l'appui, que même le médecin traitant de M. Tremblay avait refusé de signer un formulaire de transfert vers un autre établissement du réseau d'hébergement.

Nombreux recours

Prêt à tout pour demeurer dans son logement, M. Tremblay, avec l'aide de Mme Godbout, avait contacté le bureau de l'avocat Me Jean-Pierre Ménard, spécialisé dans les causes de santé. "Ils ont été très gentils. Ils ont dit: battez-vous! Mais ils nous ont aussi conseillé de ne pas perdre de temps et d'argent en justice. Ils n'ont même pas chargé la consultation", souligne Mme Godbout.

M. Tremblay était même prêt à signer un dégagement de responsabilités envers le CSSS de la Haute-Yamaska en cas de sinistre. La direction du programme personnes hébergées (DPPH) a demandé un avis juridique à un cabinet d'avocats de Granby sur la validité d'une telle renonciation. Selon la firme, ce document n'aurait eu aucune valeur légale et n'aurait pas protégé l'établissement contre d'éventuels recours en dommages.

Compte tenu des circonstances, la relocalisation de M. Tremblay était, selon eux, tout à fait appropriée. La firme proposait également son soutien dans l'éventualité où M. Tremblay refusait d'être relogé.

"Ils ont complètement oublié Yvan dans toute cette histoire. Ils ont seulement pensé à le déplacer pour éviter d'être poursuivis en cas d'incendie", conclut Denise Godbout tristement.

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