Quand il a reçu la sommation, il a d'abord cru qu'on lui envoyait une contravention. «Je me demandais ce que j'avais fait de mal!» lance-t-il en souriant. En comprenant de quoi il en retournait, Michel s'est réjoui. «Je voulais être choisi, même sans savoir quelle était la cause.» Au terme du processus de sélection - Michel affirme que 400 citoyens avaient été convoqués au palais de justice -, il est retenu pour composer le jury de trois femmes et neuf hommes. Dès le lendemain, le procès se met en branle. Deux hommes sont accusés d'en avoir assassiné un autre dans la région en 2006.
Michel marche un peu sur des oeufs. Il sait, au même titre que La Voix de l'Est, qu'un juré ne peut dévoiler les détails des délibérations auxquelles il a pris part. La loi le veut ainsi.
Peu importe, ce sont les émotions qui nous intéressent. «C'est un autre monde complètement. Au début, j'étais dépaysé et je focalisais seulement sur les deux accusés. Puis, on est entrés progressivement dans le procès. À un moment donné, on s'habitue, c'était comme si on rentrait au bureau le matin!» confie le quinquagénaire.
Jour après jour, les témoins ont défilé, des experts sont venus exposer des faits. Consciencieusement, Michel et ses collègues jurés ont écouté et pris une tonne de notes «pour ne rien oublier». Chacun avait même en sa possession un cartable contenant des photos, dont celles du cadavre de la victime. «C'était choquant, mais palpitant en même temps. Comme une émission de CSI, mais au ralenti, dit-il. J'étais tellement dedans que j'en suis même venu à me dire que j'aurais plaidé la cause autrement!»
Malgré les détails sordides et la salle remplie de membres de gang de rue - «plus le procès avançait, plus il y en avait», dit-il -, le juré #11 ne s'est pas laissé démonter. «C'était terrible ce que les deux gars avaient fait, mais on voulait surtout comprendre pourquoi ils l'avaient fait. Mais on ne saura jamais toute la vérité. C'est ma plus grande frustration», glisse-t-il.
Au terme des huit semaines de procès, le jury a été séquestré trois jours dans un hôtel de Granby. Coupé du reste du monde, sans cellulaire, sans télévision, sans aucun contact avec ses proches, le groupe a finalement rendu son verdict: coupable de meurtre au 1er degré dans un cas comme dans l'autre.
L'après
«C'était tellement prenant qu'il faut savoir décrocher une fois le procès fini. Moi, après, j'ai beaucoup écrit là-dessus...», dit-il.
La durée du procès et l'intensité de l'expérience ont permis de souder des liens très forts entre les douze jurés. La plupart se revoient encore deux ou trois fois par année. «Ça devient un peu comme une secte, car on a vécu une expérience particulière, partagée seulement par nous.»
Avec le recul, il considère que le procès n'avait pas besoin d'être aussi long. «J'ai eu l'impression que c'était un gaspillage de temps, de paperasse et d'argent.»
Qu'à cela ne tienne, l'aventure a été pour lui passionnante. «Je me considère privilégié d'avoir été juré; j'ai adoré l'expérience. En fait, si je pouvais, je le ferais à temps plein.»
* Tous les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes qui ont accepté de se raconter.