Les aînés ont droit à un grand bain par semaine. Depuis le début de la semaine, les préposés ne lavent plus le dos des résidants chaque jour dans le cadre de la toilette quotidienne qui est plus limitée. Les employés ne cessent de courir, d'aller au plus pressant. Ils ne peuvent suivre leur mouvement naturel, aller vers ces personnes âgées pour faire une caresse, jaser un peu. Mme Potvin est même allée consoler sa mère deux soirs pendant la même semaine. On l'avait couchée à 18h30 en promettant d'aller la relever plus tard, mais il y a eu des urgences et la nonagénaire a dû rester au lit. «Elle avait tellement de peine qu'elle ne voulait plus entrer dans sa chambre», relate sa fille. «Quand j'allais repartir, elle m'a dit: "Là, je vais bien dormir. J'ai pu évacuer ma peine"», relate-t-elle.
«C'est culpabilisant. Ma mère a eu huit enfants. Elle nous a élevés toute seule. On voudrait lui éviter ça», dit-elle.
«Il y a deux semaines, il n'y avait pas assez de travailleurs. Ils n'ont pas fini de la laver et ils ont dû aller voir une personne plus malade en promettant qu'ils allaient revenir plus tard. À 11h, elle était toujours au lit. Elle m'a dit: tu sais, je paie comme les autres. Pourquoi ils me négligent?», raconte sa fille.
«Quand la famille arrive, les résidants sont tellement assoiffés de paroles, de jokes, personne n'a envie de vivre ça. Il y en a qui deviennent agressifs. On leur donne des pilules», déplore-t-elle.
Selon Mme Potvin, on répond aux besoins de base. «Mais si la famille n'est pas là et qu'il n'y a personne pour les voir, un résidant peut rester alité toute la journée. Au lieu de le tourner aux deux heures - pour éviter les plaies de lit -, ça pourrait être aux 4h», croit-elle.
«Ma mère n'est pas négligée parce que je suis là et deux autres dames vont la voir», témoigne-t-elle. Pour s'assurer que sa mère ne manque de rien, les huit enfants se cotisent et paient 200$ par semaine pour compenser des bénévoles qui viennent lui tenir compagnie et sont présents à des moments stratégiques afin de s'assurer qu'elle ne manque de rien. Une somme qui s'ajoute aux quelque 1300$ que la résidante doit payer mensuellement.
Des manques
Quand elle se présente à la résidence en soirée, Mme Potvin a bien du mal à avoir de l'information sur ce qui s'est passé plus tôt. «La communication ne se fait pas d'un shift à un autre. L'employé n'a pas vu les petits papiers laissés par celui du quart précédent ou n'a pas eu le temps d'aller voir», déplore-t-elle.
Le médecin, qui suit 1400 patients, vient une fois par mois au centre et davantage s'il y a des urgences. Mme Potvin a demandé à le voir à plusieurs reprises. Elle avait noté que le médicament qu'on donnait à sa mère pour réduire la douleur la rendait somnolente. «C'était une femme joyeuse toujours souriante, dit-elle. Le dimanche, lorsque la famille se déplaçait pour aller la voir, elle disait: "Je vous entends, mais je ne peux pas garder les yeux ouverts." J'ai demandé à l'infirmière: "vous ne trouvez pas qu'elle en prend trop? "» La médication a par la suite été revue.
C'est à la suite des observations de la Sheffordoise qu'on a révisé la posologie d'un médicament qui forçait la nonagénaire à rester au lit toute la journée. C'est encore elle qui a interpellé les professionnels après avoir remarqué que sa mère était anxieuse. Elle s'est inquiétée l'été dernier, parce que sa mère a eu de la difficulté à avaler pendant deux mois à la suite d'une chirurgie. C'est en questionnant une infirmière sur l'heure du dîner que cette dernière s'est aperçue qu'elle avait des champignons dans la bouche. Que serait-il arrivé si elle n'avait pas été là? se demande-t-elle encore.
Une fois que la situation est revenue à la normale, c'est Mme Potvin qui a dû demander des repas normaux pour sa mère au lieu de ce qu'elle qualifie de «gibelotte»: une purée brune, une purée blanche et une purée verte toutes mélangées ensemble avec des protéines. Mais même les «repas normaux» ne trouvent pas grâce à ses yeux. «Les gens ne mangent pas parce que ce n'est pas bon», tranche Mme Potvin, qui juge les mets sans saveur et les portions beaucoup trop généreuses, ce qui est propice au gaspillage.
Mme Potvin précise que si elle a accepté d'être photographiée avec sa mère, «c'est pour aider les personnes qui travaillent là qui sont épuisées, débordées», mais qui demeurent «toujours très souriantes, très aimables». «Le gouvernement donne de l'argent. Qu'ils arrêtent de couper dans les préposés, les infirmières et les infirmières auxiliaires», fait-elle valoir. «La direction de ces centres-là coupe tellement dans leur budget et pas à la bonne place», estime-t-elle.
«Ces gens-là (les résidants du CHSLD) ne méritent pas de vivre comme ça», termine-t-elle.