Un retour au travail à contrecoeur

À Granby, comme partout au Québec, les procureurs de la Couronne sont retournés au travail, mais le moral n'était pas à son mieux.

Ce n'est pas de gaieté de coeur que les procureurs de la Couronne et juristes à l'emploi de l'État sont retournés au travail, hier, à la suite de l'adoption d'une loi spéciale par le gouvernement Charest. Un retour forcé qui rime avec déception.


«On ne peut pas dire autre chose que déception, mais on va se conformer à ce qui a été demandé, on va se conformer à la loi spéciale. On va entrer, on va travailler, on va faire encore tout ce qu'on peut, mais c'est sûr qu'il y a beaucoup de déception», a indiqué Me Annik Harbour, procureure de la Couronne à Granby.

Symboliquement, les procureurs sont entrés dans le palais de justice de Granby à reculons, à 13h, visiblement insatisfaits de la tournure des événements. Il en fut de même un peu partout au Québec. En salle d'audience, les dossiers en chambre criminelle et pénale ont été entendus. Bref, la justice qui était au ralenti depuis le début de la grève ne l'est plus.



«C'est un jour triste pour la justice. Je pense que la population va se rendre compte que la justice est malade, elle a plusieurs écueils à remonter», a indiqué Me Caroline Meilleur, procureure de la Couronne au Bureau de lutte au crime organisé (BLACO).

Me Meilleur a tenu à souligner le courage du procureur en chef du BLACO, Claude Chartrand et de ses quatre adjoints qui ont demandé à être réaffectés à des tâches de procureurs en réaction à l'adoption de la loi spéciale.

«C'est tout à leur honneur et peut-être que ça aura des impacts dans le futur», a-t-elle confié, hier.

Dans le cadre de l'adoption de la loi spéciale, le gouvernement prévoit, entre autres, l'embauche de 80 procureurs supplémentaires alors que les procureurs en réclamaient 200 nouveaux. Oui, les procureurs sont déçus et craignent les répercussions.



«On va faire 35 heures par semaine alors si on n'a malheureusement pas le temps de rencontrer des victimes ou des témoins, on va y aller avec ce qu'on a. La magistrature rendra les décisions qui s'imposent dans les circonstances», a indiqué Me Meilleur.

«C'est d'avoir un système de justice avec un grand J qui fonctionne. Que les gens sont rencontrés, sont préparés, sont prêts à aller témoigner et qu'on puisse les accompagner», a fait valoir Me Harbour, déléguée pour la région sud à l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales.

Une problématique persistante

«C'est totalement décevant, totalement irresponsable du ministre de la Justice d'imposer les conditions de travail d'une façon semblable compte tenu des besoins criants des procureurs de la Couronne», a qualifié Me René Sévigny, bâtonnier du district judiciaire de Bedford.

«C'est tout de même très symptomatique, la problématique générale au sein de la justice. C'est maintenant moins de 1 % de toutes les dépenses de la fonction publique qui est consacré à la justice. Et le Ministère voudrait une justice qui fonctionne bien, qu'elle soit accessible aux justifiables», a-t-il enchaîné.

À la suite de la décision du gouvernement et des conditions de travail imposées aux procureurs de la Couronne, le bâtonnier craint le départ à la retraite de certains procureurs, notamment en raison de l'augmentation salariale de 6 % sur cinq ans, ce qui ne couvre pas le taux d'indexation. Les procureurs réclamaient plutôt un ajustement salarial de 40 %.



«Il va y avoir je fais cette prédiction-là beaucoup d'avocats de la Couronne chevronnés, expérimentés qui sont sur le bord de leur retraite qui vont se dire je vais m'en aller, de toute façon ça ne changera rien à ma pension ou pas beaucoup au calcul», estime-t-il.

Les avocats de la défense, qui ont appuyé leurs collègues durant la grève, ne sont pas plus en accord avec la façon de faire du gouvernement. «Les demandes sont fort louables. La toile de fond, on ne peut pas être en désaccord avec ça, mais je trouve ça déplorable que le gouvernement provincial ait mis fin aux négociations par une loi spéciale pour forcer le retour au travail comme ça», a commenté MeRobert Jodoin, avocat de la défense à Granby.

«Les gestes ne suivent pas la parole. Ils parlent de créer, par exemple, une escouade anticorruption. Concrètement, ça va prendre des procureurs pour superviser ces escouades-là», dit pour sa part Me Jocelyn Grenon, également avocat de la défense.

Pendant la grève, certains dossiers de ses clients ont été reportés, mais il ne s'agit pas là du plus grand impact juridique, dit-il. «Le plus gros impact sera sur la confiance du public envers l'administration de la justice, d'autant plus que ce n'est même pas 1 % du budget», fait-il valoir.

Il est d'avis que l'embauche de deux procureurs au palais de justice de Granby serait bienvenue. «C'est sûr qu'il manque de personnel, dit Me Grenon. Les gens sont moins disponibles faute de temps.»