Les enseignants s'épuisent

Lampion à la main, quelque 70 enseignants et parents ont manifesté à Granby, hier, dans l'espoir d'éclairer le gouvernement Charest.

Quelque 70 enseignants et parents ont manifesté, hier, sur le pont Patrick-Hackett, rue Mountain, à Granby. Lampion à la main, ils voulaient «éclairer» le gouvernement Charest sur le manque de services offerts aux élèves en difficulté.


Par exemple, en Haute-Yamaska, faute d'avoir reçu les services nécessaires au secondaire, «le nombre d'élèves qui souffrent de difficultés sérieuses a explosé à l'éducation des adultes depuis des années. Ils sont majoritaires. Beaucoup de dyslexiques, quelques troubles anxieux sérieux, des psychoses et des troubles envahissants du développement (...)», a lu la présidente du Syndicat des enseignants de la Haute-Yamaska, Michelle Marcotte, à partir du texte projeté sur l'arrière de l'édifice du pub McIntosh.

«Est-ce acceptable ou inacceptable?», a-t-elle demandé dans un porte-voix aux manifestants qui, tous en choeur, ont répondu par la négative.



Plusieurs cas de la sorte ont ainsi été rapportés, tour à tour, hier, les manifestants scandant chaque fois que c'était «inacceptable». Les cas étaient tirés du livre des «Pires histoires ignorées d'en haut», un document de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) rassemblant des problèmes causés par le manque de ressources offertes aux élèves présentant des difficultés scolaires, et remis à la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, à la demande de celle-ci.

«Je manifeste pour que les élèves qui ont des difficultés aient plus de ressources, dit Carolyne Gagné, enseignante à l'école secondaire J.-H.-Leclerc. Le gouvernement coupe les services de psychologues et de psychoéducateur, cite-t-elle en exemple. On les intègre au régulier, mais les profs n'ont pas les ressources, poursuit la manifestante, lampion à la main, dans le but d'amener le gouvernement de «M. Charest à sortir de la noirceur».

Partout en province

La FAE a organisé hier cinq autres manifestations similaires un peu partout dans la province. Elle souhaite ainsi être entendue par le gouvernement Charest, qui en est à évaluer présentement, en comité de travail, les services qui seront offerts aux élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA). Ce comité devrait, début février, soumettre ses recommandations à la ministre, qui décidera le 1er juin de l'offre et de l'organisation des services pour ces élèves dans les écoles. «Si on constate qu'il n'y a pas d'écoute pour nos revendications, on va prendre d'autres mesures pour se faire entendre», prévient le président de la FAE, Pierre St-Germain.



Les enseignants croient que l'intégration des élèves en difficulté ou handicapés dans des classes régulières est allée trop loin. «Au lieu de répondre aux besoins des élèves, le modèle d'inclusion reflète les conséquences de la réforme et des politiques visant le déficit zéro», dénonce M. St-Germain.

L'un des principaux problèmes est le manque de ressources, comme des orthopédagogues, des orthophonistes et des psychologues, pour diagnostiquer les problèmes d'apprentissage d'un enfant. «Les élèves ne sont plus diagnostiqués. Tant qu'il n'y a pas de cotes d'évaluation (de diagnostic), il n'y a pas le financement pour fournir l'aide nécessaire», explique Mme Marcotte.

Un autre extrait présenté relatait d'ailleurs le cas d'un élève de neuf ans arrivant des Philippines, ne parlant pas français, et peu anglais, qui a été placé dans une classe de déficience intellectuelle légère, où la majorité a un important trouble de langage, dans un établissement de la Haute-Yamaska. Au dire de l'enseignant (non identifié) qui relate ce cas, aucun rapport ne prouvait que cet enfant avait une déficience, et il ne recevait qu'une heure de francisation par jour, dit le document.

Le manque de ressources pour aider les élèves en difficulté a pour résultat qu'on «demande aux enfants d'attendre, ce qui entraîne des retards et des redoublements», cite-t-elle en exemple.

«Mon fils de 15 ans a le syndrome de la Tourette et un TED (Trouble envahissant du développement)», raconte la Granbyenne Annick Lamy. «Il était au régulier au primaire et c'était l'enfer. Une classe de 30, 33 élèves, c'était trop pour lui. Il avait trop de distractions et faisait des crises. Il a tout simplement été expulsé de l'école!», s'indigne la manifestante.

Les élèves pénalisés



La présidente du SEHY précise que le manque de ressources spécialisées pénalise également les élèves qui réussissent bien. «Quand, dans une classe il y a trop d'élèves ayant des difficultés qui sont intégrés sans que des services supplémentaires soient offerts au professeur, on vient en quelque sorte niveler par le bas pour boucler le budget», dit Mme Marcotte.

La situation actuelle fait que, dans une classe, par exemple, une enseignante ne peut recevoir qu'une technicienne deux heures par semaine pour accompagner un enfant qui a un TED et besoin de beaucoup d'attention. «Mais qu'est-ce qu'elle fait si l'enfant fait une crise quand la technicienne n'est pas là? Elle doit parfois sortir tout le reste de la classe, comme c'est déjà arrivé, mentionne Michelle Marcotte. En même, dans sa classe, un autre élève est dysphasique, ce qui l'oblige à aller plus lentement.» Cette situation épuise parfois les professeurs dont la tâche est trop lourde, soutient la présidente du SEHY.

À ceux qui ont ces problèmes spécifiques, s'ajoutent ceux qui éprouvent des difficultés temporaires, dues à une situation de vie difficile, ajoute Pierre St-Germain. «Eux non plus n'ont pas de ressources pour les soutenir», dit-il.

Ce n'est pas qu'une revendication syndicale, souligne Mme Marcotte. «Même nos dirigeants de commissions scolaires, qui ne sont pas avec nous, auraient dû être présents (à la manifestation).»

«Quarante pour cent de la clientèle régulière du secondaire ont besoin d'aide», résume Mme Marcotte.

«Si on arrêtait le financement public (à 60%) des écoles privées du territoire de la commission scolaire du Val-des-Cerfs, on gagnerait cinq millions de dollars de plus par année», estime-t-elle.