Pour l'amour de la nature

Javier Melgarejo, un monteur de renommée, a développé une technique de fabrication de mouches à partir d'éléments végétaux seulement.

Les passionnés de pêche à la mouche ont été servis cette fin de semaine à l'hôtel Castel de Granby. Quelque 1500 mordus de ce sport vieux de plusieurs siècles ont pu acquérir de l'équipement spécialisé, et observer à l'oeuvre des monteurs de mouches chevronnés, dans le cadre du Forum de pêche à la mouche Québec-Maritimes.


«Les gens viennent chercher des conseils, veulent connaître des lieux de pêche, apprendre des trucs et des techniques pour le montage (fabrication) des mouches (appâts artificiels) les plus appropriées aux différentes espèces de poisson», explique Gérald Lefèbvre, le président du comité organisateur de l'événement granbyen qui en est à sa 11e année.

 



«La pêche à la mouche est la plus belle des activités de pêche qui soit, affirme ce pêcheur de Magog. On est plus près de la nature. Il faut l'observer beaucoup plus que lors de la pêche au ver ou au leurre, poursuit-il, puisqu'il faut que l'appât corresponde à la nourriture potentielle du poisson.»

Ce sport, importé au pays par les anglo-saxons à l'époque de la colonisation, nécessite autant de connaissances théoriques que de savoir-faire technique, souligne M. Lefèbvre. Les pêcheurs fixent au bout de leur hameçon des mouches artificielles, qui sont en fait de petits objets imitant la nourriture des poissons. Il s'agit d'insectes flottant sur l'eau, des larves ou des nymphes d'insectes se déplaçant sous l'eau ou de petits poissons. Et les fabriquer est un véritable art. «Il y a des baccalauréats et des maîtrises qui se font sur la pêche à la mouche», lance M. Lefèbvre, ajoutant que certains monteurs du forum, comme Javier Melgarejo, étaient de «calibre mondial».

Originaire du Pérou, ce dernier a développé son savoir-faire ici, il y a une quinzaine d'années, en observant la faune et la flore des lacs et rivières de la région. «Dans mon pays, on ne pêche pas comme ça, dit le Sherbrookois d'origine. J'avais vu des pêcheurs à la mouche à la télévision, mais quand j'ai vu ça en vrai ici, ça m'a emballé!» Assis devant sa table de travail, il fabrique de petits insectes à l'image de ceux des lacs et rivières du Québec. Il utilise seulement des matières végétales, une technique unique nécessitant beaucoup de recherche et de créativité. Il utilise des plantes vivaces locales. «Ici, il y a du chardon, dit-il en montrant le bouton de la fleur; ça, c'est de l'asclépiade», poursuit-il en désignant le cocon de la plante remplie de filaments blancs soyeux. «Et ça, c'est de la corde de jute que je mouds dans mon moulin à café pour faire des brindilles!», explique-t-il.

«J'ai étudié l'entomologie, raconte M. Melgarejo, mais le meilleur maître, c'est la rivière. Tu l'observes jusqu'à temps que tu trouves les moyens d'imiter les choses qui attirent les poissons et que tu obtiennes du succès.»



Pas de festin en vue!

Et ce succès n'est pas récompensé par un festin de roi, le soir venu. Non. Le plaisir est ailleurs pour les «moucheurs», puisque la plupart pratiquent la graciation, ou le no-kill. C'est-à-dire qu'ils remettent leurs prises à l'eau. «Le but, ce n'est pas d'attraper le plus de poissons, explique M. Lefèbvre. C'est de comprendre l'environnement dans sa totalité, et d'être capable de s'y ajuster le plus possible.» «Faire des mouches et pêcher, c'est quelque chose qui me remplit à l'intérieur, confie M. Melgarejo. C'est un plaisir plus fort que d'acheter un grand téléviseur. On est dans la nature et le lien qu'on peut avoir avec la rivière est assez profond.»

«Je préfère manger les poissons de l'épicier que ceux de la rivière, poursuit-il. Il y a un respect de la vie dans cette pêche, car, l'année suivante, les poissons sont encore là.» Les pêcheurs ôtent souvent les crochets des hameçons pour limiter les blessures du poisson.

«Gracier un poisson, c'est le faire revivre une deuxième fois», renchérit Paul LeBlanc. Ce propriétaire d'une boutique de pêche à la mouche à Montréal affirme que cette pratique est aussi écologique, puisque les monteurs de mouches se servent presque exclusivement de poils et de plumes naturels, provenant souvent des restes d'animaux chassés. «On vend des masques d'ours noirs (peaux de têtes d'ours), dit-il, en en pigeant une dans un bac de son kiosque. «Elles ne servaient à rien, puisque les tapis (de peau d'ours) sont faits avec le corps.» Son étal est rempli de queues d'animaux et d'ailes d'oiseaux ensachées individuellement. «On a aussi des queues de chevreuil, des plumes de faisans, du poil de phoque, de caribou», énumère l'homme qui a également participé à la rédaction d'un ouvrage consacré la pêche à la mouche au Québec, en 2008.

Bien que d'abord pratiquée par les riches dans les clubs de pêche privés, la pêche à la mouche attire aujourd'hui des gens de toutes origines. «Ce loisir est accessible à M. et Mme Tout-le-Monde, explique François Goulet, éditeur du magazine Pêche à la mouche. Ce dernier affirme qu'il attire d'ailleurs de plus en plus de femmes, et que les jeunes s'y intéressent également. C'est d'ailleurs Sabrina Barnes, une Montréalaise de 14 ans, qui a fait la couverture de l'un de ses magazines. «Je rêvais de pêcher un saumon avec mon grand-père depuis que je suis toute petite, explique l'adolescente. La pêche c'est une passion. Le sentiment que tu as quand tu attrapes un poisson, ça ne se décrit pas!»

Bien qu'associée à la pêche de la truite et du saumon atlantique en rivière, la pêche à la mouche permet de prendre tout type de poisson dans des milieux variés. La région est toutefois prisée par les moucheurs en raison de la rivière Yamaska, où il est possible de pêcher pratiquement à l'année.