Salut, Gilles Carle

Même si le décor de la basilique Notre-Dame était grandiose, les funérailles nationales du cinéaste Gilles Carle ont été d'une grande sobriété.

L'oeuvre de Gilles Carle aura essentiellement porté sur les drames et les joies des gens ordinaires. Que ce soit dans La vie heureuse de Léopold Z., La vraie nature de Bernadette, ou Pudding chômeur, les petites gens ont toujours été au coeur de l'univers cinématographique de celui que certains nomment déjà le père du cinéma québécois.


La basilique Notre-Dame était bondée de gens célèbres, de comédiens et de dignitaires, samedi matin, à l'occasion de ses funérailles. Mais une large part de l'assistance était composée de personnes qui n'ont connu le cinéaste qu'à travers ses films.

 



« Gilles Carle, c'était un vrai homme du peuple, a simplement expliqué Pierre Curzi, député provincial de Borduas mais avant tout comédien qui a eu le privilège de travailler avec le cinéaste. Un homme du peuple qui a su être valeureux, solide, même dans la maladie. Un homme doté d'une grande intelligence, qui a été l'un des premiers à faire du cinéma très accessible, populaire, mais de haute qualité. «

« Maintenant qu'il est parti, je me rends compte qu'il a été très important dans ma vie et dans la vie de bien des gens, reprend M. Curzi. Il m'a donné mon premier grand rôle au cinéma tout comme il a donné une première chance à bien des comédiens et des techniciens. Gilles avait cette capacité d'ouvrir la voie aux autres, de les libérer. Il nous a en quelque sorte libérés. Il nous a donné les clés de notre destin. «

Le comédien Luc Senay a, lui aussi, bénéficié d'une première chance au grand écran grâce à Gilles Carle. Réuni devant l'assistance avec d'autres acteurs qui ont exercé leur art sous le regard de la lentille du cinéaste, il n'a pas manqué de le remercier.

« Je me souviendrai toujours de cette audition. À la fin, Gilles m'a dit: t'as l'air d'un bouffon... Je t'engage! Merci, Gilles «, a-t-il lancé à la foule.



Sobre et solennel

Même s'il s'agissait de funérailles nationales se déroulant dans l'enceinte de la Basilique Notre-Dame, la cérémonie, menée par l'historien Jacques Lacoursière, s'est déroulée sous le signe de la simplicité.

Sobre, à l'image du bouquet de fleurs sauvages ornant le cercueil du défunt, celle-ci n'a été ponctuée qu'à quelques reprises d'airs joués par un quatuor à cordes.

Le premier ministre du Québec, Jean Charest, a ouvert le bal des hommages en prononçant quelques mots à la mémoire du disparu.

« Une nation se fonde sur ses pionniers, sur ceux qui découvrent ses terres, défrichent ses chemins et ceux qui l'inscrivent dans l'universel de l'art, a-t-il dit. Gilles Carle était un réalisateur plus grand que nature mais dont l'oeuvre a été marquée par l'amour des gens ordinaires. Il a précipité l'éveil du Québec et participé à son affranchissement. «

L'une des filles du cinéaste, Martine Carle, a aussi pris la parole, entourée de ses deux soeurs, Ariane et Valérie.



« Mon père avait toujours des projets en tête, on ne se lassait jamais de l'écouter. Il était très occupé, mais quand il était avec nous à la maison, il était très présent. Il m'a déjà dit: ''il n'y a pas de maladie sympathique'', mais toi, tu étais le père le plus sympathique de tous «, a-t-elle confié avant de quitter l'estrade sous les applaudissements de la foule.

Le cinéaste Charles Binamé a lui aussi pris la parole lors de la cérémonie. Réalisateur du documentaire nommé à juste titre Gilles Carle ou l'indomptable imaginaire, il a eu la chance de côtoyer l'homme qui a ouvert la voie aux réalisateurs d'ici.

« Tu te battais pour vivre, Gilles. Pour rester le plus longtemps possible dans la chaleur de l'amour de Chloé.»

Le maître de cérémonie, Jacques Lacoursière, s'est aussi permis une réflexion, indiquant que, même si, «jusqu'à la fin, Gilles Carle éprouvait le désir de vivre, on a quand même l'impression que son décès a été une sorte de délivrance. «

Chant émouvant

La conjointe de Gilles Carle des 27 dernières années, celle qui l'a accompagné pendant les longues années de souffrance et de maladie que l'artiste a vécues en fin de vie, a elle aussi rendu un émouvant hommage à son Gilles.

Chloé Sainte-Marie, vêtue d'une tenue violette tranchant avec la sobriété du moment, a d'abord raconté le dernier rêve de Gilles Carle, un rêve dépeignant les funérailles qu'il aurait.

« Tous pleuraient mon départ, sauf toi et moi qui étions heureux «, lui avait-il raconté.



Elle a ensuite entonné une chanson, Brûle, Brûle, le dernier texte écrit par celui qu'elle aimait, qui a ému toute l'assistance, certains retenant difficilement leurs larmes.

Seul moment sombre de la cérémonie, l'intervention impromptue du sculpteur Armand Vaillancourt qui, utilisant la tribune offerte aux gens qui ont connu Gilles Carle pour lui rendre hommage, est venu réclamer une enquête publique sur les liens entre le crime organisé et les entreprises de construction. Parlant de justice sociale et de souveraineté du Québec à quelques pas du siège où le premier ministre Jean Charest était assis, le discours de M. Vaillancourt a créé un si grand malaise qu'on a délibérément coupé le son du micro qu'il employait, déclenchant la colère de quelques personnes dans l'assistance.

Une fois la cérémonie terminée, le cortège funèbre a lentement quitté la basilique pour se rendre à l'extérieur. Là, devant l'immeuble, Chloé Sainte-Marie a reçu les condoléances de dizaines de personnes pendant de longues minutes.

C'est un quidam qui, tentant de s'approcher de la veuve pour lui offrir ses sympathies, a su le mieux résumer l'homme qu'était Gilles Carle : « Gilles aimait tout le monde. Et là on le voit, tout le monde aime Gilles. «