De la place pour tous, disent les experts

Comme c'est le cas tous les quatre ans, les électeurs de la région se retrouveront dimanche prochain, au moment des élections municipales, devant une brochette de candidats pour le moins bigarrée. Cette année plus que jamais, les profils alternent entre toutes les parties du spectre en fait d'expérience politique, de curriculum vitae ou tout simplement de personnalité. Est-il sage de faire confiance au conseil sortant? Vaut-il mieux emprunter la voie du changement? Le cas échéant, quel candidat privilégier et pourquoi? La Voix de l'Est a joint quelques experts afin de répondre à la fameuse question, possiblement au centre de toutes les autres: tout le monde a-t-il sa place à la mairie?


N'alimentons pas le suspense plus longuement: oui, tout le monde a sa place à la mairie. Ou est en droit de vouloir y accéder.Tant pour Caroline Patsias, professeure adjointe à l'Université de Sherbrooke spécialisée en participation citoyenne, que pour Anne Mévellec, spécialiste des élus municipaux à l'Université d'Ottawa ou pour Pierre Delorme, chercheur en politique urbaine à l'UQAM, la question ne fait pas de doute. Tout simplement parce que cette réflexion renvoie aux bases mêmes de la démocratie, à savoir le droit de tout citoyen d'être représenté par la personne de son choix ou encore celui de se porter lui-même candidat.«C'est fondamental, estime Caroline Patsias. Les élitistes critiquent cette idée et amènent la réflexion sur la compétence, mais les candidatures en disent beaucoup sur l'offre politique en place et sur une possible absence de conscience dans la représentation politique.»Or, nuance Pierre Delorme, il demeure tout de même que certaines personnes se lancent dans une aventure dont elles ne connaissent pas tous les tenants et aboutissants.Il va même plus loin en affirmant que peu importe le candidat ou la municipalité, tout nouvel aspirant au poste de maire ou de conseiller ne sait carrément pas ce qui l'attend.«Je ne crois pas que la politique municipale soit faite pour tout le monde, mais n'importe qui peut prétendre aspirer au poste, résume-t-il. Alors des fois, ça se fait de façon très improvisée. Même à Louise Harel, que j'ai rencontrée quand elle a joint Vision Montréal, j'ai dit «vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez». Le monde municipal, ce n'est pas un monde fidèle; les gens se jouent dans le dos et changent de côté à n'importe quel moment.»Dur métierDe fait, c'est bien davantage les personnes qui ne se présentent pas que celles qui se présentent qui inquiètent les spécialistes interrogés.La très forte proportion de municipalités (près de la moitié des villes au Québec) qui ont élu ou réélu sans opposition leur maire, voire leur conseil entier, tracasse particulièrement Pierre Delorme et Anne Mévellec, qui concèdent tout de même ne pas être surpris par l'ampleur du phénomène.«Ce sont des postes ingrats, très exigeants, qui payent peu, précise M. Delorme. Et comme ce n'est pas très attrayant, en bout de ligne, très peu de gens veulent y aller. Alors ça crée un vide et il faut le remplir.»«Être maire ou même conseiller, c'est beaucoup d'heures, beaucoup d'engagement, mais aussi beaucoup de frustrations, enchaîne Mme Mévellec. Les élus sont vite rattrapés par la réalité. Je vois donc très positivement la campagne de recrutement qui s'est pratiquée cette année, parce qu'il y a beaucoup de gens qui pourraient s'impliquer dans la vie municipale, mais il faut aller les chercher.»Candidats marginauxQu'en est-il, alors, des candidatures peu traditionnelles, voire marginales?Dans la région comme ailleurs, bon nombre de postulants présentent des profils qui correspondent assez peu à la vision traditionnelle que l'on peut se faire du maire et de la mairesse d'une municipalité, que ce soit par leur allure, leur parcours ou carrément leur méconnaissance des dossiers.Y a-t-il lieu de s'inquiéter? Pas du tout, rétorque Caroline Patsias.«Si une personne décide par elle-même de se lancer en campagne, c'est peut-être parce qu'il y a un décalage entre ce qu'elle vit et le discours politique qu'elle entend, estime la professeure. Dans toutes les études, on lit un sentiment de critique et de méfiance envers la politique. Je crois que ces candidatures profitent au débat public, parce que leur présence oblige un repositionnement de la discussion.»Pour Anne Mévellec, imposer un cadre au candidat type est non seulement impossible, mais irait en outre à l'encontre de l'exercice fondamental de la démocratie.«Il n'y a pas de critères objectifs pour faire de la politique, dit-elle. Comment établir qui aurait le droit plus que d'autres? C'est aux gens de faire leur choix. Et comme on dit, on a les élus qu'on mérite.»Autant dire que la population n'est pas dupe. Pas plus qu'elle ne l'est à l'égard d'un candidat qui se présente sur la stricte base du mécontentement à l'endroit d'un dossier.«Au pire, il divise le vote», se contente de noter Mme Mévellec.«De toute façon, un conseiller et un maire seront toujours au sein d'un conseil, alors aussi bien un ouvrier qu'un chef d'entreprise a sa place, conclut-elle. Si ce ne sont que des entrepreneurs autour de la table, ça s'appelle la chambre de commerce, pas le conseil municipal. La discussion sera d'autant plus riche si on réussit à réunir des points de vue qui diffèrent selon des facteurs géographiques, politiques et socio-économiques.»À chacun, donc, de mener sa réflexion.Qui est le candidat idéal?Nos experts sont unanimes: le candidat idéal n'existe pas. Laissons-les néanmoins brosser le portrait de ce qui, à leurs yeux, devrait minimalement se retrouver chez les gagnants du scrutin de dimanche prochain. Tout un contrat!Caroline Patsias«Je crois que l'honnêteté serait la qualité première à demander à un élu. C'est fondamental. Ensuite, il y a la rencontre entre l'expérience, les qualités humaines et la vision de ce que souhaitent les citoyens. Oui, il faut penser à l'expérience politique, mais la force d'un candidat sera son ouverture: ce n'est pas juste une question d'expertise, c'est une idée de représentation du peuple et de ses besoins.»Anne Mévellec«Le candidat idéal, c'est celui qui connaît sa communauté, qui est impliqué. Mais évidemment, il doit aussi savoir compter, lire un budget et présenter une certaine éthique de gestion. Tout dépend de la vision que vous avez de la municipalité, à savoir si ça se limite à offrir des services de base ou à présenter un plan plus ambitieux. La force d'un conseil, c'est sa diversité, sa synergie, avec à sa tête un maire qui fait preuve de leadership.»Pierre Delorme«Le meilleur candidat est celui qui a une vision du développement de sa ville, qui sait où il s'en va. C'est celui qui a un projet, qui est capable d'arrêter de parler d'égouts et d'ordures pour voir plus loin. Ce n'est pas nécessaire d'élire un gestionnaire de carrière. Ce qu'on veut, c'est quelqu'un qui a une bonne tête, qui est capable d'analyser et qui ne se fera pas dire quoi faire par tout le monde. Bref, quelqu'un de passionné et de branché sur la population.»