Les pilotes sont inquiets

Les pilotes qui empruntent la piste de Bromont sont inquiets.

Les pilotes de l'aéroport régional des Cantons-de-l'Est, à Bromont, sont préoccupés par l'ouverture d'une garderie au bout de la piste qu'ils utilisent. Une erreur de pilotage, craignent-ils, pourrait avoir des conséquences fatales. Soixante-dix enfants fréquentent la garderie.


«Quand j'ai su que c'était une garderie, les bras m'en sont tombés, explique Michel Thibaudeau, président de l'Association des pilotes de l'aéroport de Bromont. C'est pas dangereux tant qu'il n'y a pas d'accident, mais quand il y en aura un, ce sera la catastrophe.»

 



La garderie La Maisonnée des couleurs a été construite juste en face de la piste principale de l'aéroport et a ouvert ses portes il y a quelques jours. L'extrémité de la piste est à environ 500 mètres de la porte de la garderie, située en bordure du boulevard de l'Aéroport et dans l'axe de la piste. «Que ce soit à l'atterrissage ou au décollage, un avion qui quitte l'aéroport devra survoler la garderie», soutient Michel Thibaudeau. Il souligne que des risques accompagnent ces deux manoeuvres. «En décollant, le moteur peut s'arrêter, alors qu'en atterrissant, une erreur du pilote peut provoquer un écrasement, dit-il. C'est rare, mais ce sont des choses qui peuvent arriver.»

«La première chose qu'on apprend, si on a une panne moteur au décollage, c'est de se poser droit devant nous. Là, si on a à atterrir d'urgence, on va se planter dans une garderie. Il y avait mille endroits où placer une garderie, mais on l'a mis en plein où il ne fallait pas», soutient Robert Lavigne, pilote qui compte 10 ans d'expérience et qui fréquente l'aéroport de Bromont. Tout en se refusant à blâmer la direction de l'aéroport, il se questionne sur la décision d'autoriser la construction d'une garderie à cet emplacement. «Il y a quelqu'un qui a manqué», affirme-t-il.

La nouvelle de la construction de cette garderie s'est répandue comme une traînée de poudre au sein de la communauté des pilotes de Bromont. Un pilote a fait part de ses inquiétudes, sur le site internet Les Ailes québécoises. Le site compte un forum où les membres, dont plusieurs fréquentent l'aéroport de Bromont, discutent des questions d'aviation.

En quelques heures, une vingtaine d'entre eux se sont prononcés de façon quasi unanime sur le dossier. «S'il y a une panne moteur au décollage ou un atterrissage trop long, on peut s'imaginer le reste», lance un des intervenants, aussi pilote. D'autres prévoient que le bruit occasionné par les avions dérangera les poupons. «Les gens vont se pointer pour dire que les avions dérangent le dodo d'après-midi des bébés, prédit un autre. La bêtise humaine n'a pas de limite», conclut-il.



Un troisième intervenant ajoute: «C'est ridicule de placer une garderie dans l'axe de l'aéroport. C'est certain qu'il y aura des plaintes à cause du bruit, à cause de la pollution ou de n'importe quoi d'autre qu'on ne soupçonne même pas encore.»

Quinlan défend la garderie

Depuis plusieurs années, la mairesse de Bromont, Pauline Quinlan, favorise le développement du Technoparc de sa ville. Avec l'arrivée massive de travailleurs, elle souhaitait y implanter une garderie pour faciliter la vie des parents qui occupent un emploi dans ce secteur.

De prime abord, elle ne voit pas de problème à l'emplacement de la nouvelle garderie. «Il y a des dizaines de villes où on retrouve des aéroports près de quartiers résidentiels, ce n'est pas exceptionnel, dit-elle. La garderie est en place, les parents sont heureux et il ne semble pas y avoir d'inquiétudes.»

Mme Quinlan considère que Bromont a respecté toutes les législations en place dans le processus menant à la construction de cette garderie. «Bromont a sollicité NAV Canada et on nous a dit que c'était parfaitement légal et sécuritaire. Je considère qu'on a fait nos vérifications.»

NAV Canada est une société privée qui a pour mandat d'assurer le mouvement sécuritaire des aéronefs à l'intérieur de l'espace aérien du pays. La Voix de l'Est a obtenu, grâce à la Loi d'accès à l'information, une copie des documents délivrés par NAV Canada à la Ville de Bromont. On y retrouve notamment une lettre d'un gestionnaire de l'organisme datée du 4 mars 2008, où on peut y lire que «NAV Canada n'a aucune objection au projet soumis». Le responsable de la société ajoute: «Je dois toutefois souligner que notre évaluation est limitée à l'incidence de la structure physique proposée sur le système et les aménagements de navigation aérienne». Une copie de cette lettre a été envoyée au directeur de l'aéroport de l'époque, Gilles Beauchemin, depuis limogé par le conseil d'administration de l'aéroport.



Joint par La Voix de l'Est, NAV Canada insiste sur le fait que son rôle se limite uniquement à l'incidence que peut avoir un bâtiment sur les outils de navigation d'un aéronef. L'organisme explique que son processus d'évaluation de terrains ne concerne que ses propres intérêts et, en aucun cas, elle considère avoir les outils pour vérifier si la construction d'une garderie en bordure d'un aéroport est risquée ou non.

Transport Canada, organisme fédéral, a aussi étudié le dossier. «Notre rôle est d'évaluer si la bâtisse à être construite constitue un obstacle aérien ou non, en vertu du Règlement de l'aviation canadien et si le balisage de la bâtisse est requis. Notre évaluation ne porte donc pas sur la nature des activités à être pratiquées dans la bâtisse. La décision de construire une garderie à cet endroit, dans un Technoparc, près d'un aéroport, revient à la Ville», précise Marie-Anyk Côté, porte-parole de Transport Canada.

Les pilotes et le c.a. ignorés

L'aéroport de Bromont est sous la responsabilité d'un conseil d'administration, où siègent des représentants des trois villes qui financent les installations aéroportuaires, soit Granby, Bromont et Cowansville. Jacques Gévry, conseiller municipal à Granby, est membre sur ce conseil d'administration. Lorsque La Voix de l'Est lui a appris qu'une garderie venait d'être ouverte près de la piste, il s'est montré surpris. «Si le conseil avait été informé de cette situation, on aurait demandé à la Ville de tenir compte de l'aéroport. À mon avis, les terrains autour de l'aéroport doivent rester des espaces verts.» L'association des pilotes de Bromont affirme aussi n'avoir été jamais consultée.

La mairesse Quinlan réplique que sa Ville n'avait pas l'obligation de solliciter l'avis du c.a. de l'aéroport ou des pilotes avant d'approuver le projet de garderie. «Nous n'avions pas à consulter la direction de l'aéroport et nous ne l'avons pas fait. Ces terrains sont sous la responsabilité de la Ville de Bromont, c'est à nous de veiller à leur bon développement», explique-t-elle.

egauthie@lavoixdelest.qc.ca