«C'est quelque chose qui rentre dans toi et qui n'en sort pas.»

«Il avait la position du petit Jésus dans la crèche. Il était en couche avec les bras ouverts comme s'il attendait d'être secouru.» Cette scène, un policier de Granby l'a vue il y a plus d'une décennie. Le temps n'a toutefois rien effacé. Aujourd'hui, il en parle toujours avec autant de difficulté et d'émotions.


Lorsque l'appel est arrivé pour un bébé qui ne respirait plus, il ne restait que cinq minutes à son quart de travail. Le policier a tout de même décidé de s'y rendre.

 



«Ce qui était notable une fois à l'intérieur (dans la maison), c'est qu'il y avait beaucoup de pression, se remémore le policier. Dans ces cas-là, il y a toujours une personne qui fait les manoeuvres, mais eux autres, c'était l'indifférence. Y'avait personne pour l'aider.»

Le patrouilleur a alors entrepris des manoeuvres de réanimation sur le bébé. «Dès que je l'ai touché, je sentais une rigidité», se rappelle-t-il. Deux de ses collègues de travail sont arrivés en renfort et ont poursuivi son travail.

Le poupon a succombé à ses blessures. Il avait subi de multiples fractures, indique le patrouilleur. «Un moment donné, tu comprends mieux la mort du bébé. Mais on ne brasse même pas un animal comme ça», confie-t-il en sanglotant.

Quelques jours après l'intervention, il a essayé d'en parler, mais sans succès. Il s'est finalement confié à un collègue. «Je me suis mis à pleurer comme une petite Madeleine, dit-il. Ça m'a donné un gros coup de main.»



Il a ensuite reçu l'aide d'un policier psychologue de la Sûreté du Québec. À l'époque, l'image de l'homme qui ne pleure pas était ancrée dans la société, d'où la difficulté de s'ouvrir. «Chez nous comme ailleurs, on est élevé que t'es capable d'en prendre. Aujourd'hui, ça a changé et on fait plus de debriefing», enchaîne-t-il.

Malgré ces démarches, la blessure demeure toujours aussi vive. «Il y a des cas qui te touchent plus que d'autres. J'ai relu le rapport et c'est comme si c'était hier. C'est pénible à lire», confie le policier.

«C'est quelque chose qui rentre dans toi et qui n'en sort pas. T'en fais des cauchemars, enchaîne-t-il, toujours aussi bouleversé par la scène inoubliable qu'il a vue. C'est incompréhensible. T'es démuni, t'es dépourvu.»

Le policier affirme que s'il devait répondre à nouveau à un appel semblable, il le ferait sans hésitation. «Il n'est pas question que je revire de bord. Je sais ce qui m'attend et j'ai un travail à faire. Je foncerais tête baissée», dit-il avec conviction.