Un psy réclame plus d'action

«Aujourd'hui, je réalise qu'il ne se fait plus rien, déplore le psychologue Richard Gagné. Je donne des conférences sur l'intimidation en Abitibi, mais jamais à Granby.»

«Je mets au défi la commission scolaire du Val-des-Cerfs de mesurer le taux d'intimidation dans leurs écoles. Ce n'est pas compliqué, ils n'ont qu'à distribuer un questionnaire aux élèves», lance Richard Gagné, ex-psychologue à Val-des-Cerfs.


Le questionnaire dont parle M. Gagné a été conçu par un chercheur scandinave, Dan Olweus. Le psychologue, aujourd'hui retraité de Val-des-Cerfs, se souvient que ce questionnaire avait été distribué au milieu des années 1990 aux élèves des écoles Joseph-Poitevin et Wilfrid-Léger. «Nous avions eu une subvention pour un programme de recherche et développement», relate-t-il.

 



Les résultats avaient mené à des actions pour réduire l'intimidation. «C'est important de développer un programme qui soit basé sur des recherches, note Richard Gagné. Le problème, actuellement, c'est qu'il se fait à peu près n'importe quoi.»

À l'époque, Val-des-Cerfs était citée en exemple pour sa lutte contre l'intimidation. «Aujourd'hui, je réalise qu'il ne se fait plus rien, déplore le psychologue. Je donne des conférences sur l'intimidation en Abitibi, mais jamais à Granby.»

Une affirmation que réfute Alain Lecours, directeur général du Val-des-Cerfs. «Les profs sont sensibilisés, les psychologues sont encore mieux préparés, énumère-t-il. Les histoires rapportées dans les médias concernant l'école Sacré-Coeur ne rendent pas justice à tous les gens qui travaillent auprès des jeunes.»

Agir avant le pire



À la suite de la lecture des récents articles sur des gestes d'intimidation survenus à l'école secondaire du Sacré-Coeur, M. Gagné a lâché un coup de fil à ses anciens collègues pour savoir ce qu'ils comptaient faire. «Ce que je trouve grave, c'est quand les adultes ne font rien», lance-t-il. Sacré-Coeur accueille des élèves de première et deuxième secondaire, période la plus propice à l'intimidation, fait observer le psychologue.

Les écoles attendent qu'un évènement grave, telle l'histoire du jeune David Fortin au Saguenay, pour agir constate Richard Gagné. L'adolescent de 14 ans, d'Alma, aurait fugué pour échapper à l'intimidation.

Cesser d'être témoin

«Il y a trois niveaux d'intervention dans les écoles pour contrer l'intimidation: la sensibilisation, la mise sur pied d'un protocole d'intervention et un programme d'éducation à long terme, énumère M. Gagné. Je suis déçu qu'au Québec on s'arrête souvent à la première étape.»

Les professeurs doivent parler régulièrement d'intimidation dans leur classe. «Quand j'étais plus jeune, c'était drôle de faire des blagues déplacées sur les secrétaires. Maintenant, on n'en fait plus. Parce qu'on a beaucoup parlé de harcèlement au travail», mentionne le psychologue.

Si un jeune a confiance en son enseignant, il dénoncera son agresseur. «Présentement, 50 % des jeunes intimidés n'en parlent pas et 80 % des enseignants au secondaire ignorent les cas d'intimidation. Et dans une école, 10 % des jeunes sont victimes d'intimidation», chiffre M. Gagné.



Les témoins de l'intimidation ont aussi un rôle à jouer. «À l'école, tout le monde savait ce que David Fortin vivait, souligne M. Gagné. Les autres élèves, ce sont eux qui ont le plus de pouvoir pour faire changer une situation. Quand on s'approche d'une scène d'intimidation pour voir ce qui se passe, on y contribue.»

Contrer l'intimidation permettrait du même coup de réduire le décrochage. «L'intimidation est responsable de 11 % de l'absentéisme à l'école», soutient M. Gagné.

Criminels

Dans une lettre publiée en page 11 de La Voix de l'Est, aujourd'hui, Marie-Danielle Lemieux, intervenante scolaire à du Val-des-Cerfs, qualifie d'acte criminel l'intimidation. «Quand je fais le tour des classes pour parler de l'intimidation, je le fais avec un policier. Ça fait plus sérieux», a-t-elle relevé en entrevue téléphonique, hier après-midi.

Mme Lemieux, qui complète un doctorat en psychopédagogie sur la violence dans les écoles, s'intéresse à l'intimidation depuis une dizaine d'années. «Dans une autre commission scolaire, j'étais responsable du dossier des suspensions. Des directeurs me demandaient de changer un élève d'école parce que c'était un rejet. C'est là que j'ai commencé à m'intéresser au problème.»

Existe-t-il un profil type de la victime? Non, répond Mme Lemieux. Dès qu'il est différent, un élève s'expose à l'intimidation. Encore plus s'il n'a pas d'ami. «Le pianiste Alain Lefebvre a souffert d'intimidation. Parce qu'il avait un accent français et qu'il jouait du piano», relate l'intervenante. «Le prince Charles a été victime d'intimidation», note Richard Gagné.

Malgré ses recherches, Marie-Danielle Lemieux n'arrive pas encore aujourd'hui à déterminer si «rire des autres est un comportement inné ou appris». Chose sûre, les jeunes répètent ce qu'ils entendent. «Souvenez-vous de l'émission Piment fort. Les humoristes riaient méchamment de tout le monde. Est-ce un exemple?»

Comme le chante Paul Piché, «les enfants ça peut faire tout ce qu'on leur apprend», insiste l'universitaire.