Clients et employés aiment le centre-ville

«Si la ville veut embellir le centre-ville, elle pourrait démolier bien d'autres immeubles avant le nôtre», clame le gérant du bar Le Studio, Dominic Brodeur.

Jeudi soir, jour de paie. Sur les quelques téléviseurs qui ornent les murs du bar Le Studio, la Caroline mène 1-0 contre Pittsburgh. Personne ne regarde le match. Le regard de la dizaine de clients est plutôt tourné vers la scène où Mandy dénude lentement son corps dans la lueur des black lights.


L'endroit est propre, bien décoré, à des lieues de l'ambiance glauque de nombreux autres clubs de danseuses.

Assise au bar comme la plupart des clients, la jeune brunette sirote un bloody Ceasar en compagnie d'un client visiblement plus âgé qu'elle.



 

«J'espère vraiment qu'ils ne fermeront pas le Studio, confie Mandy, quelques minutes après sa prestation. J'aime vraiment ça travailler ici. C'est beau, c'est propre, les gens ont de la classe. Ce n'est pas dans tous les bars de danseuses qu'on peut se sentir aussi valorisée.»

Ce qu'elle espère, c'est que le bar demeure au centre-ville, mais s'il déménage, elle se dit prête à suivre.

«La gang est l'fun ici, je veux rester», ajoute-t-elle.



Clients inquiets

Angel monte sur scène pour la seconde partie de son spectacle. La pâle lumière bleue qui illumine l'endroit dissimule presque complètement les traits de son visage, mais met bien en évidence les courbes de la grande brune au teint foncé.

Assis à une table avec des amis, Steven contemple le corps d'Angel qui bouge sur des rythmes hip-hop.

«Ce serait stupide qu'ils forcent le bar à déménager, lance le jeune homme. Ici, c'est l'endroit idéal pour ce genre de place. On peut venir à pied ou en taxi et à la fin de la soirée, on peut aller manger un morceau sans prendre la voiture.»

Steven, qui dit venir au Studio lorsque son budget le permet, ne voit pas en quoi la présence d'un bar de danseuses dans la rue Principale aurait de quoi scandaliser les Granbyens.

«De l'extérieur, il n'y a rien qui puisse choquer les gens», pense-t-il.



Un peu plus loin, un autre client regarde Angel démontrer toute sa flexibilité.

«C'est le seul bar de danseuses du coin, soulève Francis. Où est-ce que les gens vont aller pour voir des belles filles danser nues? Nous autres, on est venus de Bromont juste pour ça.»

Mauvais pour les affaires

L'annonce de l'expropriation prochaine du bar de danseuses qui a pignon sur rue à cet endroit depuis plus de 20 ans a soulevé bien des questionnements chez les habitués.

«Ça inquiète les clients, confie Mélanie, une des serveuses. Les gens nous demandent ce qui va se passer, mais on n'en sait pas beaucoup plus qu'eux.»

Assis dans le bureau du bar, où l'extrême clarté contraste avec la pénombre de la salle de spectacle, le gérant du Studio, Dominic Brodeur en avait un peu plus long à dire.

«Je ne peux pas vous confirmer de date précise, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il nous reste à peine deux mois pour trouver un autre local ou bâtir un nouvel immeuble quelque part entre le Saint-Hubert et la 139, affirme le grand gaillard. Ça ne nous laisse pas beaucoup de temps et ça va nécessiter de gros investissements.»

Selon lui, les activités du bar sont déjà affectées par la décision de la Ville de Granby de le chasser du centre-ville.



«D'habitude le jeudi soir, il y a au moins 200 entrées, reprend Dominic. Ce soir, y'a pas plus de 15 personnes. C'était la même chose hier. Depuis que c'est sorti dans les journaux, on reçoit plein d'appels de clients qui pensent qu'on est déjà fermés.»

Le gérant ne comprend pas la motivation derrière cette décision du conseil municipal.

«Si ce qu'ils veulent, c'est embellir le centre-ville, ils pourraient démolir bien d'autres immeubles avant le nôtre, clame-t-il. Ils devraient plutôt aider les commerçants à rajeunir leurs façades plutôt que de mettre dehors de jeunes entrepreneurs qui marchent droit.»

Il dénonce aussi l'attitude du maire Richard Goulet qui, selon lui, n'a jamais voulu écouter les arguments des deux propriétaires de l'endroit Yan Pellerin et Mathieu Girard.

«On avait un droit acquis ici et le maire n'a même pas voulu le respecter. On dirait qu'il en a fait une affaire personnelle. En plus, la Ville ne nous donne presque pas de temps pour nous revirer de bord. Celle-là, je ne la comprends pas encore», lance-il.

Déçu de l'attitude des élus municipaux, Dominic Brodeur se demande à qui profitera l'expropriation du Studio.

«Le maire a dit que tous les citoyens seraient heureux de nous voir partir. Demandez aux clients qui sont ici ce soir, ça ne fait plaisir à personne», dit-il.